Interview de Gérard Mestrallet, ancien Président de l’AFALULA et ancien PDG d’ENGIE par Ludovic Herman de L’Entreprise Sentimentale (LLG 1987)
« Ma 1ère année de prépa à Louis-le-Grand fut la plus triste de ma vie, heureusement que je suis resté 2 ans ! (G. Mestrallet) »
Avant d’avoir été le PDG d’ENGIE et d’être aujourd’hui le Président de l’Agence Française de Développement d’ALULA, Gerard Mestrallet fut élève en classe préparatoire scientifique à Louis-le-Grand pendant 2 ans. Voici l’expérience qui fut la sienne.
Comment êtes-vous arrivés à Louis-le-Grand ? Était-ce votre choix ?
Ce ne fut pas particulièrement mon choix, ni celui de mes parents qui travaillèrent dès l’âge de 14 ans. C'était le conseil de mon professeur de mathématiques du lycée d’Asnières. Il m'avait présenté au concours général et m'avait incité à postuler après le baccalauréat mathématique élémentaires (que seulement 30% des candidats réussissaient à l’époque).
Lycéen, j’aimais beaucoup la nature et la physique que je comprenais quasi intuitivement, grâce peut être à l’ingéniosité de mon père qui avait de l’or dans les mains. En arrivant de ma banlieue parisienne, en Maths Sup et à l’internat de Louis-le-Grand, je ne connaissais absolument personne.
Comment vous êtes-vous senti accueilli ? Quelles furent vos premières impressions ?
Moi qui avais toujours caracolé en tête de de classe, en étant toujours le 1er (au lycée d’Asnières où je suis resté de la 6ème à la terminale), je commençais l’année avec un 4/20 ! Ma 1ère année de prépa à Louis-le-Grand fut la plus triste de ma vie, heureusement que je suis resté 2 ans, car la seconde fut plus lumineuse. Moi, l’enfant du milieu d’une fratrie de 3 garçons, qui avais grandi dans une famille aimante, je me retrouvais isolé à l’internat. Moi, qui aimais la nature, je me retrouvais dans un univers minéral, froid et sombre. Sans parler du manque d’intimité des dortoirs en 1ère année de 2 fois 15 étudiants sans cloisons. Et le rapport de l’école républicaine à l’hygiène était « surprenant » avec une douche par semaine et un décrassage quotidien au gant de toilette à l’eau froide dans une auge commune ! Nous étions en 1966, l’extinction des feux du dortoir tombait à 22 heures. J’avais 18 ans, ce fut un vrai choc.
En dehors de connaissances académiques, qu'avez-vous retenu de « l’école Louis-le Grand » ?
Louis-le-Grand était une école de l’humilité, aucun résultat n’était jamais acquis. Une école aussi de la compétition, car, qu’on le veuille ou non, à la sortie, nous attendaient les concours. On pouvait les réussir ou échouer et se retrouver sans rien, c’était improbable, mais possible. C’était aussi l’école du pire et du meilleur de la pédagogie avec des professeurs exemplaires, respectueux, méticuleux et d’autres stressants, humiliants. C’était aussi l’école du travail, on travaillait tant. Cette école de la République ignorait le piston, le passe-droit, les privilèges, une école exigeante mais reconnaissante. Grace à elle, j’ai intégré polytechnique et je me souviens combien mes parents non diplômés, en étaient fiers
Justement, quels professeurs vous ont aidé, marqué ?
Je me souviens parfaitement de M. Keromen ce professeur de mathématique en Maths Spé : précis, pédagogue avec toujours d’un immense respect pour les élèves et jamais un mot au-dessus de l’autre. Je me souviens aussi de M. Provost, ce professeur de physique aussi en Maths Spé, à l’esprit si brillant. Je me souviens d’autres professeurs en Maths Sup dont je n’ai plus le nom, qui étaient eux comme de mauvais dirigeants, ils humiliaient en public, on y allait la boule au ventre, ils étaient vraiment toxiques.
Et quels amis fréquentiez-vous ?
Nous étions un groupe de 4 amis proches : Alain (Minc), Alain (Lamour) et Xavier (Moreno) sur la même ligne dans la classe. Nous nous étions promis que ceux qui entrerait à l’X en 3/2 inviteraient les autres chez Lapérouse, ce que nous fîmes, Xavier et moi. De plus, nous conclûmes même la soirée par un duel d’escrime improvisé sur le parapet du quai des Grands Augustins. Quand j’y repense, c’était totalement inconscient. Je me souviens aussi qu’entre deux concours on allait sur les barricades de mai 68, nous étions aux premières loges et Alain Minc, déjà très bon orateur, aimait aussi prendre la parole dans les assemblées.
Et la sentimentalité à Louis-le-Grand ? Étiez-vous amoureux à l’époque du lycée ?
Non, car à l’époque, Louis-le-Grand comme l’X, était interdit aux filles ! Et impossible de rencontrer quelqu'un (ou plutôt quelqu'une) quand vous travaillez non-stop. Mes distractions « sentimentales », si je peux m'exprimer ainsi, c’était d’aller me promener dans le quartier des Halles pour goûter les bruits et senteurs du marché qui n’avait pas déménagé à Rungis et de me recueillir dans le silence de l’église de St Julien le pauvre. La mixité c’était sur les barricades et les AG.
Quels messages souhaiteriez-vous communiquer aux jeunes actuellement à Louis-le Grand ?
Primo, bravo pour les efforts que vous déployez, vous ne devrez votre succès qu’à vous-même. Secundo, ne croyez pas que toute votre vie dépende de vos succès ou échecs aux concours, je le croyais et je me trompais. La vie est longue. Le talent, le courage et le travail payent toujours, meme après un concours raté.
Que pourrait vous permettre l’association des anciens élèves du lycée Louis-le-Grand ?
Pouvoir retrouver ma classe de HX2 ou XA3 serait une bonne idée ! Et j’avoue que je serais content d'effectuer une visite guidée du lycée pour découvrir tout ce qui a changé.
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