Il était une fois Louis-le-Grand…
« Seydoux, avant de vous précipiter, réfléchissez ! »
Interview de Jérôme Seydoux (LLG 1953), Président du groupe Pathé par Ludovic Herman de L’Entreprise Sentimentale (LLG 1987)
Avant d’être l’homme d’affaire et de cinéma que l’on connaît Jérôme Seydoux a été scolarisé au Lycée Louis-le-Grand. Voici un rapide retour sur l’expérience qui fut la sienne.
Comment êtes-vous arrivé à Louis-le-Grand ? Était-ce votre choix ?
En 1950, je termine ma 3ème au lycée Montaigne (le collège d’aujourd’hui) dans le 6ème. Montaigne n’ayant pas de grand Lycée, les élèves qui continent leurs études se répartissent entre St Louis et Louis-le-Grand.
Je me souviens qu’on cochait cette case sur le dossier et c’est ainsi que je me suis retrouvé dans ce grand lycée parisien au sens propre comme au sens figuré. Nous habitions à l’époque rue Las Cases et je venais tous les jours avec le bus 84.
Comment vous êtes-vous senti accueilli ? Quelles furent vos premières impressions ?
Je me souviens qu’on s’est dit, avec le petit groupe d’élèves qui venait comme moi de Montaigne, que c’était rigoureux, dans le bon sens du terme et aussi assez détendu et qu’on pourrait jouer au basket pendant les interclasses ! J’étais demi-pensionnaire et je ressentais un vrai sentiment liberté. A l’époque, pour peu qu’on ait des résultats honorables, les parents nous laissaient tranquilles alors LLG rimait pour moi avec liberté.
En dehors de connaissances académiques, qu'avez-vous retenu de « l’école Louis-le-Grand » ?
Les chocs sportifs ! Notre professeur de sport M. Dufaut était un ancien international français de rugby, un demi de mêlée convainquant. Je m’enrôlais alors, mi courageux, mi inconscient, dans l’équipe du lycée et nous eûmes un parcours honorable jusqu'au jour où nous avons été laminés par l’équipe du lycée Gurcy EDF. Là, ce fut un massacre. Seule consolation, plusieurs de leurs joueurs finirent en équipe de France.
Justement, quels professeurs vous ont aidé, marqué ?
Un maître exceptionnel, monsieur Duchemin qui roulait ses cigarettes en classe avec sa bague à tabac. Il était doté d’une autorité naturelle. Un jour de devoir sur table, il s’approcha et me dit « Seydoux, avant de vous précipiter, réfléchissez ! ». Cela m’a accompagné et aidé toute ma vie. Dieu qu’il avait raison, il avait vu immédiatement mon angle mort : ma vulnérabilité dans ma tendance à la précipitation avant la réflexion. Il aurait pu enseigner à l’université, mais il préférait aider les adolescents à se développer, se structurer. C'est pourquoi, il avait choisi le lycée. Je me souviens qu’il y avait eu 100% de réussite au Bac en mathelem et je peux vous dire que c’était une sacrée réussite. Le bac des années 50 était autrement plus sélectif qu’aujourd’hui.
Et quels amis fréquentiez-vous ?
Nous nous sommes plutôt perdus de vue, mais je me souviens d’un élève exceptionnel, Marcel Froissard. Il était en math sup, la classe au-dessus de nous, il avait lu tous les livres de son année de prépa dès les premiers jours, il avait tout compris, tout retenu… ensuite il lisait des polars. Un jour lors d’une colle on lui dit qu’il se trompait dans l’exercice, mais il maintenait qu’il avait raison et c’était le cas, l’élève avait déjà dépassé les maitres.
Et la sentimentalité à Louis-le Grand ? Étiez-vous amoureux à l’époque du lycée ?
Non, car d’abord c’était un lycée que de garçons, le lycée des filles c’était Victor Duruy pas tout à fait à côté. Avec ma bande de copains, ce qu’on adorait c’était le théâtre encore plus que le cinéma. On allait souvent à la Comédie Française, où jouait notamment Robert Hirsch et Jacques Charon que nous aimions beaucoup. Je crois qu’on aimait aussi cette grande liberté qu’offrait d’être lycéen à Paris.
Quels messages souhaiteriez-vous communiquer aux jeunes actuellement à Louis-le-Grand ?
J’avoue que je ne crois pas tellement aux messages et, surtout, je ne suis pas un maniaque des diplômes, c’est même triste de voir sur les cartes de visites ex-ceci ou ex-cela. Je crois qu’il faut surtout en profiter pour vivre ces années comme une expérience. Pour moi, ce fut un espace-temps où je suis devenu conscient de l’importance d’étudier et où j’ai appris à travailler.
Cette période de ma vie, c’est la rencontre avec un lieu d’enseignement qui était là bien avant moi et qui me succédera. C’est aussi le lieu de rencontre de personnes de tous horizons dont certains comme Froissard avaient des capacités hors normes. C’est aussi la rencontre avec des professeurs qui, comme Duchemin, nous voulaient du bien et qui, comme notre prof rugbyman, voyait un potentiel en moi quand je n’étais encore qu'un grand échalas. En bref, Louis-le-Grand est un lieu unique pour apprendre et se créer des souvenirs gravés pour la vie.
Que pourrait vous permettre l’association des anciens élèves du lycée Louis-le Grand ?
À moi, pas grand-chose, mais elle peut aider des jeunes méritants et défavorisés, elle peut aussi donner envie à nos jeunes de rester en France après le bac. J’ai l’impression que, comparativement, de nos jours les études supérieures françaises attirent moins qu'à notre époque. Ce n’est pas une fatalité et l'ambition d'inverser cette tendance peut même devenir une priorité pour nos gouvernants.
Merci
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